Gemba : là où se déroule l’action… décryptage

Le Gemba c’est le terrain, là ou se crée la valeur, là où l’on traite les problèmes de terrain. Il faut y aller pour voir de ses propres yeux (go see), questionner les équipes sur le terrain (ask why) et valoriser les idées et propositions qui y sont faites (show respect).

Go observe, ask why, show respect : Aller observer, demander pourquoi, être respectueux

Fujio Cho (né en 1938), président honoraire de Toyota Motor Corporation

Gemba, un mot qui « sonne » bien

La démarche se résume simplement. Le principe est simple à comprendre. Toutefois, le mettre en œuvre demande de la patience, de l’humilité et de l’attention.

Il pourrait devenir un buzz word servi à toutes les sauces. Mais il est plus important d’en comprendre le concept et de l’appliquer le plus souvent possible.

Cet article décrypte la notion de Gemba et ce qui tourne autour : gemba walk, gembutsu. 

Qu’est-ce que le Gemba ?

Le Gemba est le principe fondateur de l’excellence opérationnelle. C’est pourquoi il est utile pour améliorer un processus, pour développer une fonctionnalité d’un logiciel ou pour mettre en production un nouveau produit ou service. Toutes les méthodologies Agile, Lean, Six Sigma s’appuient sur le concept du Gemba, sans le nommer.

Le terme japonais Gemba se rapporte à « là où se déroule l’action ». On pourrait le traduire par le terrain. Dans une usine, on pense bien évidemment à la chaine de production, là où se déroulent les activités de fabrication. Mais les bureaux, où les achats, la planification, le design, les ventes se font sont également des Gemba. Enfin, en Agile, le Gemba est l’endroit ou le logiciel est développé et testé.

Par extension, le Gemba désigne tous les lieux où la valeur se crée dans l’organisation. La valeur est ce que le client achète : la qualité du produit ou d’un service par exemple.

En quoi le gemba est-il si important ?

Dans mon article sur les modèles de gestion, je vous questionne sur le pouvoir donné aux équipes de première ligne. Le principe est de traiter les problèmes de terrain, sur le terrain.

Favoriser la communication avec les équipes de première ligne

Quand la direction se déplace sur le terrain, elle indique l’importance qu’elle accorde au Gemba. Ainsi, ce ne sont pas juste des paroles et des valeurs affichées sur un panneau, c’est une réalité. Par ailleurs, les équipes sont plus à l’aise dans leur zone de travail. Elles maitrisent leur environnement et échangeront plus facilement.

On peut facilement imaginer la timidité d’un opérateur ou d’une développeuse pour parler avec la directrice générale de son entreprise. Surtout si la discussion porte sur un problème et qu’elle se déroule dans un bureau. Tant l’opérateur que la développeuse seront très mal à l’aise pour partager leur réalité.

Constater, expérimenter, tester

D’autre part, il est toujours plus facile d’expliquer une situation ou une problématique en étant sur place. Un groupe de travail ou une gestionnaire gagnera du temps à aller observer sur place pour comprendre : en plus de l’explication verbale, ils pourront voir, toucher, sentir, tester ce dont on parle. Les explications et les échanges seront plus clairs et plus productifs. On est sûrs de se comprendre et on gagne du temps pour la suite du projet ou du traitement du problème.

Enfin, en discutant autour d’un équipement ou d’une zone de travail, la créativité sera libérée, avec les possibilités d’essais et l’utilisation des différents sens. N’oubliez pas que chacun est plus sensible à l’ouïe, à la vue ou au toucher. Sur le terrain, tous les sens en éveil, chacun exploitera au mieux ses qualités.

Quand faut-il se rendre sur le terrain ?

Malgré des emplois du temps surchargés, il est important de se rendre le plus souvent possible sur le terrain.

Si vous gérer une équipe, c’est une activité que vous devriez faire tous les jours. Si vous travaillez en soutien aux opérations, vous devriez prendre le temps, une fois par an d’aller voir ce qui se passe sur le Gemba. Je pense aux équipes de ressources humaines, finances, communications. Si vous travaillez pour les projets ou l’informatique, je vous suggère une visite quatre fois par, dans différents secteurs pour mieux comprendre vos clients internes.

Évaluer les gembustu, les défauts produits

Suite à un accident, une panne, un problème qualité, au lieu de convoquer une réunion dans une salle et d’apporter des objets/acteurs du terrain dans la salle, pourquoi ne pas se rendre sur le terrain ? Vous aurez ainsi la chance de voir les défauts produits (en japonais : gembutsu). Vous pourrez voir les opérations fonctionner normalement et vpus questionner sur ce qui a causé le dysfonctionnement.

Être plus efficace dans les projets

Dans le cadre d’un projet, il est également pertinent de se rendre sur le terrain. Dans un de mes mandats, je participais à un projet Six Sigma, en tant que représentante pour l’usine. J’ai été sidérée de passer 8 heures à travailler sur l’équipement dans une salle de réunion. En effet, les autres participants n’avaient pas eu la chance de voir l’équipement.

Comment pouvons-nous être efficaces et pertinents sans savoir de quoi on parle ? En allant voir fonctionner l’équipement, nous aurions facilement pu gagner 4 heures de réunion, perdues à expliquer et imaginer ce qui pourrait se passer si on appuyait sur chacun des boutons.

Avant d’acheter un nouveau logiciel pour un secteur, il faut savoir comment il fonctionne. Si vous trouvez qu’il y a un manque de performance ou de communication, ce n’est pas l’implantation d’un nouveau système qui va résoudre le problème. En effet, la recherche de cause racine doit passer par la visite sur le Gemba.

Le Gemba Walk

Une autre occasion de se rendre sur le terrain est le Gemba Walk, qui est une activité a part entière. Les gestionnaires de 1er niveau devraient être tout le temps sur le terrain, auprès de leurs équipes. Les autres membres de la direction devraient de leur côté prendre le temps, d’une fois par jour à une fois par semaine, de faire un tour sur le terrain.

Attention, il ne s’agit pas d’une promenade « de santé ». Dans un premier temps, on peut se concentrer sur un atelier, ou une zone de travail et regarder les opérations fonctionner pendant quelques instants. L’objectif est de comprendre ce qui se passe, et d’en parler avec les équipes. Une fois le processus connu, la période d’observation pourra être plus courte et ressembler à un « tour » d’usine.

Si vos opérations sont numérique, vous pouvez aussi aller sur le Gemba. Je vous explique comment marcher un processus virtuel dans un autre article.

Quand vous savez comment tout est censé fonctionner, vous serez capable de détecter des dysfonctionnements très rapidement. Une des meilleure façon de le faire est de réaliser vous-même les opérations. Mais ce n’Est pas toujours possible.

  • Tiens, que fait cette palette au milieu du passage ? D’habitude il n’y a rien ici …
  • Il y a un volume plus important de dossiers/pièces que les dernières fois dans cette zone …
  • Que fait cette personne avec ses documents / pièces dans cette partie de l’usine / des bureaux ? Ce n’est pas dans le processus normal …
  • Il me semble que beaucoup de post-its s’accumulent sur ce tableau de suivi …

Comment aller sur le Gemba ?

En route pour un gemba walk

Pour que les visites sur le terrain soient réussies, il y a quelques prérequis :

Avoir une grande ouverture d’esprit

Même si les gestionnaires connaissent la théorie et savent comment l’organisation devrait fonctionner, une multitude de facteurs viennent perturber ce fonctionnement idéal, de la météo, à l’humeur de chacun en passant par les systèmes informatiques ou un accident qui retarde une livraison. L’organisation s’adapte donc en permanence à ces facteurs et ne fonctionne pas toujours selon les règles définies. Vous devrez donc garder l’esprit ouvert et, avant de rejeter le fonctionnement modifié, vous questionner et questionner les équipes sur les causes de dysfonctionnement.

Faire preuve de naïveté

L’expertise de terrain appartient aux personnes qui y travaillent, souvent depuis de longues années. Leur expérience et leurs connaissances ont une grande valeur qu’il faut prendre en compte. Ils ont souvent de bonnes idées pour améliorer les choses dans leur secteur. Vous devez prendre en note ces idées. Vous avez sans doute vos idées, et peut-être vous les avez même déjà testées. Toutefois, vous devez vous montrer naïf et écouter les propositions du terrain. Retenez-vous de juger hâtivement. Vous vérifierez ensuite les impacts sur les autres secteurs. Vous pourrez alors les mettre en œuvre ou expliquer aux équipes pourquoi elles ne fonctionnent pas pour l’organisation.

En augmentant les connaissances de l’organisation et des impacts sur les autres secteurs, les équipes opérationnelles seront plus pertinentes dans leurs futures propositions. On peut également les emmener faire le Gemba Walk d’un autre secteur.

Dans l’industrie, il y a juste un point sur lequel l’équipe de gestion devra être inflexible : c’est la sécurité. Si le port des lunettes est obligatoire, tout le monde doit les porter, vous devez être exemplaire dans ce domaine.

Avoir un objectif

Comme expliqué plus haut, une visite sur le terrain vise à traiter un problème, à se rendre compte de l’état de l’entreprise. Ce n’est pas une promenade quotidienne, pour papoter avec les équipes de la météo. Vous devez savoir pourquoi vous allez sur le terrain. Dans l’idéal, votre objectif sera SMART ou à tout le moins, mesurable.

Lors de votre prochain Gemba walk, essayez une ou deux choses pour être plus pertinents. Vous trouverez rapidement ce qui fonctionne le mieux pour vous. L’essentiel est d’être présent (go observe), ouvert (ask why) et authentique (show respect).

Se mettre dans une case et observer

Pour réussir votre Gemba, souvenez-vous que vous avez deux yeux, deux oreilles et une bouche… Vous devriez donc parler moins de 20 % de votre temps en Gemba. Si vous parlez, c’est pour poser des questions et clarifier l’action ou le pourquoi de l’action.

En aucun cas lors d’un Gemba vous ne devez commenter, ou pire, critiquer, ce que fait la personne observée. D’une part, vous n’avez pas toute l’information pour comprendre son action, d’autre part, vous perdriez sa confiance et ne pourrez plus observer de façon efficace.

Un exemple de Gemba dans une usine

Les processus industriels peuvent être longs, tant dans le temps que dans l’espace. Vous allez donc définir une zone et une portion du processus que vous allez observer. Dans l’idéal, limitez-vous à quelques mètres carrés. Si vous pouvez avoir un poste d’observation fixe, c’est encore mieux.

Commencez par observer le flux des produits : de quels produits s’agit-il, sont-ils variés ? D’où viennent-ils, sur quels équipements passent-ils, quelles sont les opérations réalisées, où sont-ils stockés, où vont-ils ensuite, à quelle fréquence les produits arrivent, sont transformés ou repartent.

Observez ensuite le flux des personnes : suivent-elles le produit, font-elles des allers-retours, sortent-elles de la zone observée, souvent, longtemps, restent-elles immobiles, travaillent-elles sur le produit, vérifient-elles la qualité, l’équipement ? Quelles sont leurs activités principales, comment ont-elles l’air de se sentir ? Vous pourrez ensuite observer leur posture et l’ergonomie du poste. Imaginez l’impact sur le corps de ces actions, réalisées tous les jours pendant quarante ans.

Enfin, vous pourrez écouter les bruits, les machines, les véhicules, les personnes. Qu’est-ce qui prédomine ? Est-ce que l’ambiance est bruyante, rythmée, chaotique, sereine ? Entendez-vous des bruits qui vous semblent anormaux, d’où viennent-ils ?